PREMIÈRE DÉCISION DU «GUN JUMPING»

PREMIÈRE DÉCISION DU «GUN JUMPING»

De la pédagogie à la sanction

◆ L’absence de notification ou la réalisation de l’opération avant l’obtention de l’autorisation du Conseil de la concurrence est sanctionnée par une amende pouvant aller jusqu’à 5% du chiffre d’affaires de l’entreprise responsable de la notification.
◆ Les opérateurs marocains et ceux étrangers qui réalisent une opération ayant un impact sur le marché marocain doivent désormais avoir conscience que toute opération non notifiée ou qui n’a pas été autorisée par le Conseil fait désormais l’objet de sanction en pratique.
◆ Entretien avec Saad El Mernissi, partner du cabinet Figes Mernissi.

Finances News Hebdo : La première décision de «Gun jumping» a été rendue récemment par le Conseil de la concurrence. Le Conseil a décidé d’infliger une sanction pécuniaire de 11.670.215 DH à la société suisse Sika AG. Que vous inspire cette décision inédite en tant que professionnel réputé en matière de droit de la concurrence au Maroc ?

Saad El Mernissi : Cette décision révèle un changement de position du Conseil, qui avait fait le choix ces dernières années de privilégier la pédagogie à la sanction et qui, visiblement, souhaite envoyer un message fort aux opérateurs économiques pour le respect des dispositions prévues en matière de droit de la concurrence, et plus particulièrement en matière de contrôle des concentrations. Pour rappel, les entreprises parties à une acquisition, une fusion ou à une joint-venture et qui dépassent certains seuils de chiffres d’affaires et de parts de marché doivent notifier cette opération au Conseil de la concurrence en fournissant un certain nombre d’informations prévues par les textes législatifs et réglementaires et doivent obtenir l’autorisation du Conseil de la concurrence avant de réaliser l’opération. L’absence de notification ou la réalisation de l’opération avant l’obtention de l’autorisation du Conseil de la concurrence est sanctionnée par une amende pouvant aller jusqu’à 5% du chiffre d’affaires de l’entreprise responsable de la notification. C’est ce
qu’on appelle communément un «Gun jumping», qui a conduit dans le cas du dossier Sika à une amende de plus de 11 millions de dirhams.

F. N. H. : La décision du Conseil n’augure-t-elle pas une nouvelle ère en matière de contrôle des opérations
de concentration économique au Maroc ?

S. E. M. : Les opérateurs marocains et étrangers qui réalisent une opération ayant un impact sur le marché marocain doivent désormais avoir conscience que toute opération non notifiée ou qui n’a pas été autorisée par le Conseil, fait désormais l’objet de sanction en pratique. Il est à noter qu’un projet de loi est actuellement
en discussion. Celui-ci pourrait aboutir sur la modification des critères de notification pour permettre la mise en place de dispositifs plus pertinents ce qui évitera la notification d’opérations qui n’ont pas un réel impact sur la concurrence au Maroc.

F. N. H. : Selon vous, comment une société de la trempe de Sika AG peut-elle ignorer la loi applicable au Maroc en matière de concentration économique ?

S. E. M. : Je ne connais pas les conditions dans lesquelles cette entreprise a réalisé son opération d’acquisition et quelles sont les raisons qui ont motivées cette situation. Par expérience, les entreprises ne notifient pas leurs opérations par méconnaissance du cadre juridique marocain, par une mauvaise appréciation des critères
fixés par la législation en vigueur ou par une volonté de réaliser rapidement l’opération et ce, sans avoir à attendre l’autorisation du Conseil de la concurrence qui peut prendre jusqu’à 60 jours à compter du moment où le dossier de notification est considéré comme complet par le Conseil de la concurrence.

Les règles de la concurrence doivent faire tout d’abord l’objet d’une sensibilisation auprès des acteurs du monde du droit.

F. N. H. : Selon vous, comment sensibiliser efficacement les opérateurs économiques et les investisseurs internationaux afin qu’ils se conforment au droit de la concurrence en vigueur au Maroc ?

S. E. M. : De façon générale, ces règles doivent faire tout d’abord l’objet d’une sensibilisation auprès des acteurs du monde du droit (avocats, conseils juridiques, notaires, experts comptables…), qui sont souvent les premiers interlocuteurs des entreprises marocaines et étrangères qui souhaitent réaliser une opération de concentration. De plus, dans la plupart des pays qui disposent d’une réglementation sur la concurrence aux standards internationaux, le cadre législatif et réglementaire est souvent accompagné par des textes explicatifs émis par les autorités de la concurrence afin de permettre une meilleure compréhension et
une meilleure interprétation des textes de loi. Le Conseil de la concurrence a récemment publié
un guide pour la mise en place de programmes de conformité destinés aux entreprises. Il est également important, qu’à l’instar d’autres autorités de la concurrence, que le Conseil de concurrence publie des lignes directrices spécifiques au régime du contrôle des concentrations.

Propos recueillis par M. Diao

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